Billlet initialement publié le 28 juin 2012, actualisé à l'occasion de la sortie du rapport "Les métiers de la presse" le 28 août (à télécharger à la fin)
Je vous présente Pierre. Pierre est le journaliste moyen français en 2011. Non pas qu'il écrive des articles "moyens", mais Pierre est le portrait robot de nos journalistes, si l'on se base sur les chiffres de la carte de presse pour l'an passé.
Pierre a 43 ans et travaille dans un quotidien régional. Il y est salarié, en CDI, n'a pas fait d'école de journaliste pour apprendre son métier. Pierre a de la chance d'être un homme. Non pas qu'il soit misogyne, mais il est bien obligé de constater que dans ce métier, c'est un avantage. Cela permet plus facilement de décrocher un CDI. Et pour espérer décrocher une promotion c'est carrément recommandé. Parce que des femmes chefs de service ou rédacteurs en chefs, il y en a bien quelques unes. Mais deux fois moins nombreuses que les hommes.
Pierre est plutôt bien payé. Pas des millions comme on l'imagine parfois, les PPDA sont rares dans le métier, mais en ces temps difficiles, il n'a pas vraiment à se plaindre. Il gagne 3 421€ bruts par mois. Bien sûr, il n'oublie pas que nombre de ses collègues gagnent moins que lui.
C'est peu ou prou le portrait-robot du journaliste français en 2011 que l'on peut dresser en se basant sur le rapport très complet fourni l'observatoire des métiers de la presse, qui se base sur les chiffres de la commission de la carte de presse (à lire en entier et télécharger au bas de ce billet). Une mine de renseignements, pas toujours très enthousiastes, sur l'état de notre profession.
On y apprend, notamment, qu'il y a de moins en moins de journalistes en France, et qu'ils sont de plus en plus vieux.
La baisse des effectifs pour la seconde année consécutive. Un phénomène remarquable, puisque c'est la première fois depuis près de 40 ans que cela arrive, mais qu'il est encore difficile d'interpréter de façon alarmiste. Cette baisse reste en effet très limitée pour le moment : -1,35% en 2010, -0,35% en 2011.
Le nombre de cartes de presse reste supérieur à 37 000, soit presque trois fois plus qu'en 1975. Y-a-t-il pour autant trois fois plus de journalistes qu'il y a 40 ans ? Difficile à dire, puisqu'il n'y a pas de statistiques sur le nombre de journalistes n'ayant pas leur fameuse carte de presse. Mais peut-être peut-on se demander si 37 000 ne constitue pas un plafond, une sorte de nombre maximum de journalistes pour un pays comme la France, soit un journaliste pour 1 756 Français.
C'est nettement moins que les médecins (un peu plus de 200 000), les agriculteurs (800 000 environs) ou les policiers (environ 145 000 selon les derniers chiffres officiels disponibles)… C'est même trois fois moins que les effectifs de Total (96 951 salariés début 2010) ! En revanche, c'est nettement plus que les notaires (9 132), mais cela gagne beaucoup moins (lire un peu plus loin).
Autre constat, les journalistes français vieillissent, donc.
41% d'entre eux (15 459 exactement) ont plus de 45 ans. Un vieillissement qui ne va pas en s'arrangeant, puisque 6,2% des encartés ont plus de 60 ans, alors que les plus jeunes, ceux qui ont moins de 26 ans ne sont que 4,1%. On aimerait d'ailleurs rencontrer les 11 journalistes qui ont reçu leur toute première carte de presse en 2011 et qui sont âges de 60 ans et plus ! Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Et pour quel média travaillent-ils donc (le premier qui répond Notre Temps est privé de tisane ce soir) ?
On y apprend aussi que c'est une profession qui se précarise un peu plus chaque année pour les jeunes.
Le CDI est décidément un graal un peu plus difficile à décrocher chaque année. En 2009, 75,8% des journalistes en France en avaient un. Deux ans plus tard, le chiffre est tombé à 74,2%.
Dans le même temps, le nombre de CDD est passé de 2,6% à 4% tandis que le nombre de pigistes est resté stable.
74,2% des journalistes ont un CDI, pas de quoi crier à la précarisation diront certains ? Le chiffre est à relativiser, surtout chez les jeunes journalistes.
Ainsi, seuls 36% des journalistes de moins de 26 ans décrochent ce fameux CDI. Et à 34 ans, plus de 30% des journalistes continuent de travailler en CDD ou à la pige…
En 2011, les diplômés des écoles de journalisme ne représentent que 16% des journalistes
On y apprend qu'un diplôme c'est bien, mais pas obligatoire
On dit souvent que les écoles de journalisme sont la voie royale pour devenir journaliste. Un bien grand mot peut-être. Après tout, les journalistes issus de l'un des 13 cursus reconnu par la profession sont très minoritaires : 5 966 en 2011, soit 16%
Mais il est vrai que passer par l'une de ces école accélère un peu les choses. Ainsi, ceux qui ont fait une école décrochent leur carte de presse à moins de 26 ans en moyenne, contre 31 ans pour les autres. Mais, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ils ne décrochent pas un CDI plus facilement pour autant. 16% à peine de ceux qui sortent de ces fameuses école décrochent directement une CDI lorsqu'ils ont leur première carte de presse, contre 42% pour les autres.
Journaliste, un monde de mysogines ? Seuls 27% des postes de directeurs de rédaction sont occupés par des femmes. Et globalement, celles-ci ont un salaire inférieur de 13% !
On s'y voit confirmer que journaliste, c'st un métier de mec, encore et toujours
C'est le cas depuis longtemps, et si cela évolue, cela reste très long. Notre belle profession a beau jeu de se moquer du temps que mettent les politiques pour atteindre la parité : dans nos salles de rédactions, on en est encore loin ! Que ce soit en presse écrite, à la radio, dans la production audiovisuelle ou à la télé, les femmes sont moins nombreuses que les hommes. C'est dans les rédactions télévisuelles que la différence est la plus nette : 4 femmes pour 6 hommes.
Mais la parité ne peut être que mathématique que dans un gouvernement peut-on se dire. Oui, la vraie inégalité est ailleurs. Dans l'accès aux statuts stables et aux postes à responsabilités. Là, elle est carrément criante…
Oui, lorsqu'on est une femme, on a nettement plus de "chance" de devoir se contenter de CDD et de piges. Seules 42,9% d'entre elles travaillent avec la sécurité d'un CDI.
Quant à devenir rédacteur en chef… Seuls 32,5% de ces postes sont occupés par une femme. Et les directrices de rédaction sont encore moins nombreuses : 27,1% ! Moins de 3 femmes pour 7 hommes !
Seule lueur d'espoir dans cet océan d'inégalités, les postes de rédacteurs en chef adjoint. Pour la première fois, les femmes y sont plus nombreuses que les hommes !
Car côté rémunération, c'est encore largement injuste. Les femmes doivent en effet se contenter d'un salaire 13,4% plus bas que celui des hommes. Sans le début de la moindre justification, bien entendu (comment pourrait-il y en avoir une ?). Et, cerise sur ce gâteau déjà bien amère, cette inégalité se creuse, puisqu'elle est plus importante en 2011 qu'en 2010...
Enfin, on y apprend que c'est un métier dans lequel le salaire moyen baisse
La majorité des journalistes encartés en CDI gagnent entre 2 000€ et 4 000* brut mensuels, pour un salaire médian en nette baisse : 3 421€ en 2011 contre 3 848€ l'année précédente.
Aux extrêmes, près de 20% des journalistes gagnent moins de 2 000€ brut par mois et 14,5% plus de 5 000 bruts mensuels.
Bref, Pierre a plutôt de la chance. Il a un travail intéresant, valorisant, plutôt bien payé, qui lui a encore permis il y a quelques jours de retrancher 7 500€ de son revenu imposable au moment de remplir sa déclaration d'impôts. Mais Pierre n'est qu'une construction de l'esprit. Pour les jeunes journalistes et pour les femmes, c'est moins rose.
Le rapport complet de l'observatoire des métiers de la presse :
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